On dit que la patience est une vertu et je suis patient. Je suis même très patient en général seulement voilà, là, c'est mon avenir qui se joue alors forcément, j'ai du mal à rester calme à chaque fois que le facteur passe. Je suis censé recevoir la réponse de Juilliard ces jours-ci, je le sais puisque j'ai été prévenu que j'allais justement recevoir la réponse. Certes, tout le monde me répète que d'avoir été déjà auditionné est une immense victoire mais ils ne se rendent pas compte que ce n'est qu'une petite victoire, ils ne se rendent pas compte que la réelle victoire ce serait d'être accepté dans cette école et de pouvoir y apprendre tout ce que je rêve d'apprendre. Le potentiel il paraît que je l'ai. Le don il paraît que je l'ai. La bourse il paraît que je l'aurai. Alors j'attends. J'attends leur réponse à eux. Chaque soir, quand je rentre de la bibliothèque (où je travaille en attendant), c'est en courant que je déboule à l'intérieur de la maison familiale, hors d'haleine, excité à l'idée d'avoir cette fameuse lettre. Ce soir ne déroge pas à l'habitude : c'est bien en courant que je passe la porte d'entrée, en courant que je laisse tomber mon sac au sol, en courant que je me rends dans le salon où je trouve mes parents et ma petite sœur assis sur le canapé.
« Alors ? » je demande le souffle court ?
Aussitôt, ma mère soulève une enveloppe l'air tendu. Elle pourrait sourire mais elle est tendue : je pense qu'elle a peur d'une réponse négative comme d'une réponse positive. Elle a peur d'une réponse négative car elle anéantirait mon plus grand rêve, elle a peur d'une réponse positive qui m'éloignerait d'elle. Je m'approche tandis qu'elle me tend l'enveloppe. Lorsque la dite enveloppe est dans mes mains, je l'observe un instant sans plus bouger, le cœur battant à tout rompre : tout se joue maintenant. Mon avenir, ma vie... Tout se joue vraiment en cet instant. Je prends une profonde inspiration et ce sont des doigts tremblants qui viennent ouvrir l'enveloppe, ce sont des doigts tremblants qui se saisissent de la lettre, ce sont des doigts tremblantes qui déplient la lettre et ce sont des yeux hagards qui lisent les mots.
« Cher Monsieur Andrews... » je commence à voix haute avant que ma voix ne se meurt bien que les mots continuent d'être mimés par mes lèvres.
A présent, mon père et ma sœur sont également debout, je sens leurs regards sur moi mais je n'ai d'yeux que pour la lettre. Je n'ai d'yeux que pour cette lettre que je termine, que je replie alors que les larmes me montent aux yeux et qu'un sourire étire mes lèvres. Je relève mon regard vers ma famille et mon seul sourire et haussement de sourcils suffit à leur comprendre que je viens de recevoir la plus magnifique et merveilleuse des lettres.
ɸɸɸɸ
« Quand est-ce que tu passes l'audition ?
- Dans deux jours.
- Et tu te sens prêt ?
- Plus que prêt. J'ai vraiment beaucoup travaillé, je peux le faire.
- Elsa va venir avec toi ?
- Oui, oui, elle m'accompagne. »
La discussion avec ma petite sœur tourne autour de ma prochaine audition afin d'intégrer le Ballet de New-York. Cela la rassure de savoir qu'Elsa va m'accompagner et pour cause, Elsa est mon pilier à New York, ma meilleure amie. Pour être tout à fait honnête, lorsque je l'ai rencontrée, je ne pensais absolument pas que nous pouvions devenir amis, encore moins qu'elle devienne ma meilleure amie et pourtant, j'ai appris à la connaître, elle a appris à me connaître et aujourd'hui, je ne pourrais pas être moi sans elle, ma vie ne pourrait pas être ce qu'elle est sans elle. Elsa, malgré nos différences, elle m'est devenue vitale, c'est tout, comme moi je lui suis devenu vital. Ce sont des choses qu'on ne contrôle pas.
« Tu vas danser sur quelle musique ?
- Space Oddity.
- Quoi ? T'es fou !
- Je sais. »
J'esquisse un sourire.
« Tu devrais choisir autre chose.
- Non. Tu sais que c'est ma chanson favorite de Bowie.
- Je sais mais franchement, une audition pour le Ballet de New York et tu veux danser sur du rock ?
- Oui. Je veux leur montrer celui que je suis et c'est le meilleur moyen de le faire. La chorégraphie est de moi, c'est vraiment un morceau de moi que je vais leur présenter alors je dois le faire à fond. Bowie est le seul qui puisse me permettre de faire ça.
- Si tu le dis mais tu prends un risque.
- La vie est faite de prises de risques petite sœur. »
Et comme la prise de risques va payer... Comme ils vont être scotchés tant par mon choix de chanson que par mon choix de costume que par mon choix de maquillage que par ma chorégraphie... Comme je vais être aux anges quand ils vont m'annoncer que je suis engagé...
ɸɸɸɸ
Je tourne comme un lion en cage, j'hésite. Je prends mon téléphone et le range. Je reprends mon téléphone et le range de nouveau. Il faut que je l'appelle parce qu'il n'y qu'à elle que je peux demander conseil. Elle est la seule qui saura me conseiller, je le sais et là, la décision que j'ai à prendre est tout sauf simple en plus d'être très importante. Après de longues à continuer à hésiter, je me décide enfin et appelle Elsa.
« Allo ?
-Elsa ? Je ne te dérange pas
-Hey, coucou mon chat ! Bien sûr que non ! Comment tu vas ?
-Euh ça va... Enfin j'en sais rien. Il m'arrive un truc et je ne sais pas quoi faire. T'as cinq minutes ?
-Ok... Attends. Je suis dans un musée là, laisse-moi deux secondes et... Voilà, je suis sortie. Qu'est-ce qui se passe ? C'est grave ?
-Non, ce n'est pas grave. Enfin, disons que ce n'est pas rien. J'ai reçu un coup de fil auquel je ne m'attendais pas du Ballet de Boston. Ils veulent que j'aille travailler là-bas.
-D'accord... Pour quelle position exactement ?
-... Hum... Premier danseur...
-PARDON ? SERIEUSEMENT ?! MAIS C'EST GENIAL ZAC ! C'est fou ! Tu vas accepter j'espère ? Tu as déjà accepté même ?!
-Ne crie pas s'il te plaît !!! Et non, je n'ai pas accepté, pas encore, il faut que je réfléchisse !
-Oh, désolée. Mais c'est génial ! Il faut que tu réfléchisses à quoi, au juste ?
-Eh bien, nous sommes en pleine préparation du prochain ballet à New-York, je ne peux pas les lâcher comme ça. Un départ ça se prépare.
-D'accord, mais le ballet de NY n'avait qu'à te donner le rôle de premier danseur s'ils voulaient absolument te garder. Pars ! Sois égoïste ! Tant pis pour New York, ils sont passés à côté de leur chance de t'avoir plus longtemps.
- Je ne sais pas... Ce sont eux qui m'ont donné ma première chance Elsa, j'ai l'impression... Je sais que tu vas trouver ça idiot mais j'ai l'impression de les trahir si je pars.
- Pense à toi avant de penser aux autres, c'est comme ça que la vie fonctionne Zac. »
Je laisse échapper un soupir.
« Je savais que tu allais me dire quelque chose dans ce goût-là, faut croire que j'avais besoin de l'entendre pour pouvoir me décider.
- Ah ! Attends, je dois te laisser je te rappelle ! »
Elle m'a rappelé, et elle a su trouver les mots pour m'inciter à prendre la meilleure décision pour moi.
ɸɸɸɸ
Assis sur le banc, je me masse doucement le genou droit, ne pouvant m'empêcher de grimacer de douleur. Des bruits de pas me font relever la tête et je vois Alberto, notre chorégraphe qui semble fou de rage, s'approcher à toute vitesse.
« Qu'est-ce qui s'est passé Zacharie ?! » me demande-t-il avec son accent à couper au couteau.
Je cesse de me masser le genou et tente de prendre un air décontracté.
« J'ai ressenti une douleur dans le genou et ma jambe n'a plus supporté mon poids, je suis désolé.
- Tu as failli faire tomber Amelia !
- Je sais ! Je suis vraiment désolé ! Je t'assure que ça n'arrivera plus !
- Ah il m'assure ! Tout va bien alors ! » lance-t-il en faisant un tour sur lui-même d'une façon qui semble théâtrale mais qui est pourtant chez lui naturelle avant de pester en italien.
Moi, je reste assis sur le banc en bois sans rien dire. Je n'ai rien à dire. Rien. J'ai bel et bien failli faire tomber ma partenaire et c'est grave, j'en ai conscience, bien que pour le coup je n'ai vraiment pas pu faire autrement : la douleur a été trop vive et brutale. Alberto cesse de pester, il cesse de bouger et se met à me fixer. Je me ratatine un peu sur moi-même.
« Depuis combien de temps tu as mal ?
- Depuis aujourd'hui, c'est la première fois. »
Ma réponse fuse vite et elle transpire le mensonge. D'ailleurs, Alberto n'est pas dupe. Il plisse les yeux.
« Tu mens très mal et tu sais que tu mens très mal en plus, je ne t'apprends rien, n'est-ce pas ?
- Non...
- Alors depuis quand ?
- Quelques semaines... » je termine par avouer en baissant la tête.
Voilà qu'il se remet à hurler en italien puis, le dernier mot, il le dit en anglais et je le comprends.
« Terminé !
- Quoi ?
- Terminé la danse tant que tu n'auras pas vu un médecin !
- Non, Alberto...
- Stop !
- Non ! Le ballet est dans trois semaines !
- Eh bien guéris vite et tu pourras reprendre ta place ! En attendant, je ne veux plus te voir sur la scène, Capice ?! »
Sur quoi il s'éloigne en pestant encore et toujours en italien.
« Oui, Capice... » je murmure tout bas pour moi-même, triste, écœuré, et inquiet.
Très inquiet.
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Paul est assis à côté de moi, ma main droite est dans la sienne, ma main gauche est crispée sur mon jean et je regarde droit devant moi. L'attente est longue pourtant, cela ne fait finalement que quelques minutes que le médecin a quitté la pièce mais ce temps me semble terriblement long à moi. Est-ce que cela semble aussi long à Paul ? Peut-être que oui, peut-être même que c'est pour ça qu'il est celui qui brise le silence qui habite la pièce depuis que le médecin s'est éclipsé.
« Comment tu te sens ?
- Je panique intérieurement.
- Pas besoin, ce sont les meilleurs ici, il vont bien te soigner.
- Dépend de ce qu'ils trouvent...
- Hey, qu'est-ce qu'on a dit ? Qu'est-ce qu'on a dit Zac ? »
Je soupire et tourne mon visage vers lui.
« Qu'on ne pense pas au pire tant que le pire n'arrive pas.
- Voilà, c'est mon homme ça. »
Ses mots ont au moins le mérite de me faire esquisser un sourire. C'est à ce moment-là que la porte du bureau de consultation s'ouvre. Aussitôt, je détourne mon regard de Paul pour regarder le médecin qui a un visage fermé, très fermé, tandis qu'il tient les clichés de ma jambe sous son bras. Je ressers la main de Paul tout en suivant le médecin du regard qui vient s'asseoir en face de moi. Je suis pendu à ses lèvres, mon cœur s'accélère. Ce n'est pas bon. Je le sais.
« Alors ? »
C'est Paul qui prend la parole, moi je me contente de fixer silencieusement le médecin qui observe mon petit ami un instant avant de reporter son regard sur moi.
« On voit très nettement une masse importante juste au-dessous de votre genou droit.
- Une masse comme... Un cancer ? » je trouve enfin le courage de demander.
Je sens les doigts de Paul se resserrer autour des miens tandis que le médecin m'observe avec douceur. Douceur... A cause de ce qu'il est sur le point de dire ? Sans doute oui.
« Il va falloir faire une biopsie et un PET Scan aussi mais c'est fort probable oui. »
Mon cœur ralentit aussi subitement qu'il s'est accéléré. Je fronce les sourcils, clignent des yeux avant de me tourner vers Paul.
« Je peux paniquer maintenant ? »
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Paul et moi sommes assis dans la salle d'attente, silencieux. Nous attendons que les médecins nous reçoivent. La biopsie a bien révélé qu'il s'agissait d'un cancer mais là, nous allons discuter des résultats du PET Scan qui vont être décisifs. Je sens les doigts de Paul qui dessinent des cercles avec tendresse sur le dos de ma main et je laisse faire : sa présence m'est indispensable. Une autre présence m'est indispensable mais je n'ai pas appelé Elsa : je préfère attendre de savoir de quoi il retourne vraiment avant de la prévenir, avant de prévenir qui que ce soit d'autre en fait. La secrétaire s'avance soudain vers nous avant de nous dire que les médecins vont nous recevoir. « Les médecins » ? Je n'étais pas censé ne voir que l'oncologue là ? Si j'en vois plusieurs, c'est que ça ne sent vraiment pas bon, mais alors pas bon du tout. J'en suis conscient mais Paul, lui, est-ce qu'il en est conscient ?
« Il faut que tu te prépares. je lui dis soudain en plantant mon regard dans le sien.
- Pourquoi tu me dis ça ?
- Ils vous attendent. intervient la secrétaire.
- Une seconde. Paul, s'ils sont plusieurs c'est que c'est mauvais alors faut que tu te prépares. »
Comme si moi je n'avais pas besoin de me préparer... Il fronce les sourcils et je le fixe avec insistance. Il termine par hocher la tête et on se met en route. On entre, on s'installe autour d'une table : ils sont trois. Il y a la femme, le Docteur Stevenson qui est le chirurgien orthopédique qui m'a vu lors de ma première consultation et deux hommes que je ne connais pas mais qui se présentent comme un oncologue, le Docteur Bowmann, et un pneumologue, le Docteur Peters. Bon sang... Voilà que mon cœur s'accélère : j'ai peur, très peur. Ils nous saluent, je les regarde sans rien dire : qu'ils aillent droit au but, ce sera plus simple, non ? Ils doivent comprendre que moi et Paul avons juste envie de savoir ce qu'il en est parce qu'ils prennent rapidement tous un air très sérieux. C'est le Docteur Bowmann qui prend la parole en premier et qui m'explique que le PET Scan a révélé deux métastases sur le poumon droit. Le cancer s'est donc propagé. D'accord. J'encaisse. Paul attrape ma main qui est crispée sur ma cuisse et la serre sans quitter les médecins des yeux. Je reste muet et c'est finalement lui qui demande ce qu'ils ont à proposer pour me soigner. Il y un silence et le Docteur Stevenson prend la parole.
« Le traitement le plus efficace et le plus radical pour la tumeur osseuse qui est assez imposante et étalée, c'est une exérèse totale du membre touché. »
J'ai une nausée que je contrôle.
« Qu'est-ce que vous entendez par là ? » demande Paul.
Il n'a pas compris, moi si, c'est pour ça que j'ai la nausée.
« Une amputation Paul, c'est ce qu'elle entend par là... »
Ma voix ne tremble pas mais elle est étrangement éteinte. Les doigts de mon petit ami se resserrent autour de ma main. Je ne le regarde pas : je ne peux pas alors à la place je fixe les médecins.
« C'est bien cela. » confirme le Docteur Stevenson. « C'est votre meilleure chance. » ajoute-t-elle en plantant son regard dans le mien.
Je suis un homme très sensible, je l'ai toujours été, il m'arrive souvent d'être ému aux larmes et là, elles me montent très, très rapidement aux yeux.
« Et pour ses poumons ? » demande finalement Paul dans un murmure.
C'est l'oncologue qui répond.
« On pourrait l'opérer mais Zacharie est jeune et pour qu'il puisse avoir ensuite une vie la plus normale possible, il faut qu'on soit peu invasif. Je recommande donc d'entamer une chimiothérapie pour réduire la taille des métastases pour ensuite les retirer chirurgicalement.
- Vous ne pouvez pas faire ça pour sa jambe ?
Il sait que l'amputation veut dire, il sait ce qu'elle représente, il veut sauver ma jambe. J'aimerais bien moi aussi la sauver.
« On pourrait essayer mais la tumeur est agressive, elle progresse rapidement. Comme je l'ai dit, l'amputation est sa meilleure chance.
- Et il sera guéri après tout ça ? »
Je ferme les yeux quelques secondes. J'ai vraiment mal au cœur là.
« Eh bien, si on agit vite, les chances sont bonnes oui. »
Je n'ose même pas demander le pourcentage de survie parce que sinon, je risque vraiment de vomir mon petit déjeuner sur la table.
« Zacharie ? »
Je rouvre les yeux en entendant le Docteur Stevenson s'adresser à moi.
« Comment vous vous sentez ? »
Je secoue la tête de droite à gauche : mal, je me sens mal et cela doit se voir en plus.
« Est-ce que... » Ah, on dirait que je retrouve l'usage de la parole. « J'ai besoin de réfléchir... J'ai besoin de temps... »
L'amputation me fait horreur : peut-être que je devrais tenter la chimiothérapie, peut-être...
« Je suis désolé mais vous avez tout sauf du temps. » me dit l'oncologue d'une voix ferme mais en même temps, il n'a aucune raison d'y aller en douceur puisqu'il a raison : je n'ai plus le temps.
Je n'ai plus de temps.
« Une minute... » dis-je avant de me redresser puis de quitter la pièce.
Oui, laissez-moi une minute.
ɸɸɸɸ
Assis sur le canapé, j'observe l'horloge qui me semble tourner au ralenti. J'agite ma jambe gauche nerveusement, triturant mes doigts croisés encore et encore. Paul ne devrait plus tarder maintenant et je sais qu'il va tomber de haut, je sais qu'il ne s'attend pas à ça mais cela ne peut plus durer. Je ne peux plus vivre comme ça. La porte s'ouvre dans l'entrée et je me redresse aussitôt non sans grimacer. La prothèse me fait mal depuis hier, il faut que j'aille chez le médecin, j'irai une fois arrivé à destination. La voix de Paul me parvient de l'entrée alors qu'il m'annonce qu'il nous a ramené à manger. Il arrive dans le salon et se fige en me voyant ou plutôt en voyant ma valise. Son visage blêmit et d'un geste du menton il désigne ma valise.
« C'est quoi ça ?
- Ma valise...
- Merci, je sais, qu'est-ce qu'elle fait là ta valise ?
- Je rentre chez moi.
- Tu es chez toi...
- Je rentre chez moi à Leesville. Je quitte Boston.
- Et tu me quittes, moi... »
Un silence tombe, alourdit l'atmosphère. Je soupire et fais un pas vers lui.
« Je suis désolé mais ça ne fonctionne pas.
- Parce que tu ne fais aucun effort.
- Paul...
- Tu sors tous les soirs, tu es tout le temps à droite à gauche, et je sais très bien ce que tu fais, je ne suis pas idiot pourtant je fais tout pour que tout se passe bien, TOUT !
- Et c'est le problème ! Je te l'ai déjà dit mais tu n'écoutes pas ! Je ne veux pas de pitié, pas de tes efforts, pas de ce regard que tu me jettes au quotidien et ne me dis pas que tu ne me regardes pas différemment, tu le fais !
- Mais j'ai eu peur de te perdre, tu comprends ça ? PEUR ZAC !
- Moi aussi j'ai eu peur mais je ne peux pas, je ne peux plus... J'ai besoin de vivre Paul et je ne peux pas vivre avec toi parce que tu ne vois que ça, que ce foutu cancer qui a bien failli avoir ma peau. »
Je sais que mes mots lui font mal mais ils sont vrais, je ne peux plus mentir, je ne peux plus faire semblant. Je l'aime sincèrement mais je ne suis pas heureux avec lui. J'ai besoin de vivre pleinement pour être heureux et j'ai surtout besoin d'être entourés de personnes qui ne voit pas le malade que je suis, qui ne voient pas que cette prothèse qui remplace ma jambe. J'ai eu beaucoup de chance. J'ai traversé l'enfer oui, l'amputation, la chimiothérapie, j'ai cru que j'allais y passer et je m'en suis sorti. Je m'en suis sorti et même si pour l'instant j'ai toujours une épée au-dessus de la tête, je vis. Voilà pourquoi les choses ne pourront jamais redevenir comme avant entre Paul et moi parce que moi, j'ai décidé de relever la tête et de profiter de la vie tandis que lui est toujours inquiet, toujours dans l'appréhension, toujours à me regarder comme si j'allais mourir d'une seconde à l'autre... C'est cela que je ne supporte plus et je lui ai dit maintes et maintes fois. Il n'a pas écouté, il n'y a plus de retour en arrière possible. Nous ne disons plus rien. Je récupère ma valise, m'approche de lui, pose ma main sur sa joue sur laquelle perlent des larmes avant de le dépasser.
« Zac, s'il te plaît, réfléchis...
- C'est déjà fait. » je réponds la main sur la poignée de la porte.
Lorsque j'arrive en bas, j'appelle un taxi puis envoie un message à Elsa.
« J’atterris dans huit heures. A tout à l'heure. »
Le taxi ne tarde pas à arriver et je pars sans regarder derrière moi. Je me sens bien, je me sens libre, je me sens vivant et ça va durer un moment. Le problème est que je ne réalise pas que lorsque la réalité de ce qu'est ma vie à présent va vraiment me frapper de plein fouet, je vais vite redescendre de quelques étages et me retrouver plus bas que terre.
En attendant, je souris, ça cache le reste.